Groupe d’étude INTERPHONE. « Brain tumour risk in relation to mobile telephone use: results of the INTERPHONE international case–control study », International Journal of Epidemiology, édition électronique, 18 mai 2010 (avant impression)

Introduction et objectif
L’étude INTERPHONE est une étude internationale cas-témoin qui a examiné le lien entre l’utilisation du téléphone cellulaire et le risque de tumeurs cérébrales, afin de déterminer si l’usage du téléphone cellulaire augmente le risque de tumeurs cérébrales, c.-à-d. si les radiofréquences émises par ces appareils sont oncogènes. L’étude a été menée dans 16 centres répartis dans 13 pays (Australie, Canada, Danemark, Finlande, France, Allemagne, Israël, Italie, Japon, Nouvelle-Zélande, Norvège, Suède et Royaume-Uni), sous la direction du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC). Il s’agit de la plus vaste étude cas-témoin réalisée à ce jour sur les risques associés au téléphone cellulaire et celle qui a porté sur le plus grand nombre d’utilisateurs de longue date (≥ 10 ans).

Méthodologie
Une recherche active a été faite auprès de tous les établissements de neurologie et de neurochirurgie des différents pays participants pour recenser les cas de tumeurs cérébrales (gliomes et méningiomes) diagnostiqués entre 2000 et 2004 chez des patients âgés de 30 à 59 ans. Dans certains centres, les registres du cancer ont aussi été consultés. Pour chaque cas, un témoin du  même âge, du même sexe et de la même région de résidence (ainsi que de la même origine ethnique en Israël) a été choisi parmi un cadre d’échantillonnage représentatif de la population de chaque région. En Allemagne, deux témoins ont été choisis pour chaque cas.

Des renseignements détaillés sur l’usage du téléphone cellulaire ont été recueillis durant des interviews en face à face réalisées avec les sujets de l’étude ou avec un répondant substitut si le sujet était décédé ou trop malade. Le questionnaire d’interview comportait également des questions sur certains facteurs sociodémographiques, sur l’exposition professionnelle et médicale à des rayonnements ionisants et non ionisants, ainsi que sur les antécédents médicaux et le tabagisme. Les données sur l’emplacement anatomique des tumeurs ont été obtenues des rapports ou des images d’IRM ou des dossiers chirurgicaux ou cliniques.

Les données ont été analysées par régression logistique conditionnelle pour ensembles appariés. La catégorie de référence servant au calcul des ratios d’incidence approché (OR) – les personnes n’ayant jamais été des utilisateurs réguliers – était formée des sujets qui n’avaient jamais utilisé de téléphone cellulaire et d’autres qui en avaient fait un usage occasionnel sans toutefois dépasser un appel par semaine pendant six mois et plus. Le nombre cumulatif d’appels et le temps d’appel cumulé ont été analysés par catégories, en fonction des déciles de distribution de ces variables entre les groupes témoins et les groupes d’utilisateurs réguliers.

Résultats
Les analyses ont porté sur 2 708 cas de gliome et leurs 2 972 témoins appariés, ainsi que 2 409 cas de méningiome et leurs 2 662 témoins appariés. Le risque de ces deux types de tumeurs cérébrales a été sensiblement moindre (OR < 1,0; intervalles de confiance (IC) n’incluant pas 1,0) chez les personnes qui utilisaient régulièrement le téléphone cellulaire depuis au moins un an que chez celles qui n’en avaient jamais fait un usage régulier (voir le tableau). Une diminution du risque a été observée dans toutes les catégories (sauf une) du nombre cumulatif d’appels, ainsi que dans les neuf premières catégories du temps d’appel cumulé. Dans la plupart des catégories, toutefois, cette baisse n’était pas statistiquement significative. Dans la catégorie du temps d’appel cumulé maximal (≥ 1 640 heures), le risque de méningiomes (OR = 1,15; IC à 95 % = 0,81 à 1,62) et de gliomes (OR = 1,40; IC à 95 % = 1,03 à 1,89) a été respectivement légèrement et beaucoup plus élevé. Lorsque le temps d’appel cumulatif a été analysé en fonction de la durée d’utilisation [court terme (1 à 4 ans), moyen terme (5 à 9 ans) et long terme (≥ 10 ans)], la hausse significative du risque dans la catégorie du temps d’appel maximal (≥ 1 640 h) n’a été observée que chez les utilisateurs à court terme : OR = 4,80; IC à 95 % = 1,49 à 15,4 pour les méningiomes et OR = 3,77; IC à 95 % = 1,25 à 11,4 pour les gliomes.

Dans le cas des méningiomes, l’OR pour les tumeurs du lobe temporal a été nettement inférieur à 1,0 (voir le tableau). Le risque de méningiomes siégeant dans le lobe temporal a également été réduit (quoique pas toujours de façon significative) dans toutes les catégories représentant la durée d’utilisation, le temps d’appel cumulé et le nombre cumulatif d’appels. En ce qui a trait aux gliomes, le risque de tumeurs du lobe temporal a été réduit mais de façon non significative. L’OR pour les gliomes du lobe temporal a été supérieur à 1,0 dans les catégories maximales de la durée d’utilisation (≥ 10 ans), du temps d’appel cumulé (≥ 1 640 h) et du nombre cumulatif d’appels (≥ 27 000), la hausse n’étant significative que dans la catégorie du temps d’appel cumulé maximal (OR = 1,87; IC à 95 % = 1,09 à 3,22).

En ce qui a trait aux méningiomes, l’OR dans les cas d’usage homolatéral du téléphone cellulaire (c.-à-d. usage du même côté que la tumeur) a été inférieur à 1,0 ou près de cette valeur dans la plupart des catégories représentant la durée d’utilisation, le temps d’appel cumulé et le nombre cumulatif d’appels. Une légère hausse non significative a été observée dans la catégorie maximale du temps d’appel cumulé et dans la deuxième catégorie du nombre cumulatif d’appels. Dans le cas des gliomes, une hausse statistiquement significative de l’OR associé à l’usage homolatéral du cellulaire a été observée dans la catégorie du temps d’appel cumulé maximal (OR = 1,96; IC à 95 % = 1,22 à 3,16); en revanche, la hausse a été non significative dans les catégories maximales de la durée d’utilisation et du nombre cumulatif d’appels. Pour les méningiomes et les gliomes, l’OR pour l’usage homolatéral du téléphone a été supérieur à l’OR associé à un usage controlatéral pour la plupart des catégories de la durée d’utilisation, du temps d’appel cumulé et du nombre cumulatif d’appels. Dans le cas des méningiomes, le rapport homolatéral/controlatéral des OR a été plus élevé dans les deux catégories maximales de temps d’appel ainsi que dans la deuxième catégorie représentant le nombre cumulatif d’appels. Pour les gliomes, ce rapport a été le plus élevé dans la catégorie du nombre cumulatif maximal d’appels.

 

Ratio d’incidence approché (IC à 95 %)*

Méningiomes

Gliomes

Usage régulier ≥ 1 an

0,79 (0,68 à 0,91)

0,81 (0,70 à 0,94)

Usage régulier ≥ 10 ans

0,83 (0,61 à 1,14)

0,98 (0,76 à 1,26)

Usage régulier ≥ 1 an, tumeur du lobe temporal

0,55 (0,36 à 0,82)

0,86 (0,66 à 1,13)

Usage régulier ≥ 1 an, tumeur du lobe pariétal ou frontal

0,79 (0,63 à 0,99)

0,77 (0,62 à 0,95)

Usage régulier ≥ 1 an, tumeur dans d’autres sièges

0,76 (0,56 à 1,04)

0,79 (0,51 à 1,23)

Usage régulier ≥1 an, usage homolatéral

0,86 (0,69 à 1,08)

0,84 (0,69 à 1,04)

Usage régulier ≥ 1 an, usage controlatéral

0,59 90,46 à 0,76)

0,67 (0,52 à 0,87)

Usage régulier ≥ 1 an, téléphone analogique seulement

0,81 (0,65 à 1,03)

1,00 (0,83 à 1,21)

Usage régulier ≥ 1 an, téléphone cellulaire seulement

0,79 (0,68 à 0,92)

0,76 (0,66 à 0,88)

*Catégorie de référence - « jamais un utilisateur régulier », conformément à la description présentée dans la section « Méthodologie »; données corrigées en fonction du sexe, de l’âge, du centre d’étude, de l’ethnicité (Israël) et du niveau de scolarité
Interprétation
Les auteurs ont fait valoir que leur analyse s’appuie sur des centaines d’OR. Leur interprétation devrait donc être basée sur la prépondérance générale de la preuve plutôt que sur les valeurs les plus extrêmes. Les résultats incluent 1) un nombre disproportionnellement élevé d’OR inférieurs à 1,0 indiquant une diminution du risque de tumeurs cérébrales chez les personnes faisant un usage régulier du cellulaire et 2) un faible nombre d’OR élevés indiquant notamment un risque accru de gliomes chez les plus gros utilisateurs du cellulaire, ainsi que de gliomes du lobe temporal et de gliomes du côté d’utilisation du téléphone cellulaire chez les grands utilisateurs.

En ce qui a trait au risque apparemment réduit chez les utilisateurs réguliers du cellulaire, les auteurs rejettent l’hypothèse d’un véritable effet de protection qu’ils estiment peu vraisemblable, et  examinent un certain nombre d’autres explications possibles, notamment la possibilité d’un biais d’échantillonnage, le taux de participation relativement faible (78 % pour les personnes atteintes de méningiomes, 64 % pour les gliomes et 53 % pour les témoins), le moment où ont été réalisées les interviews et les facteurs de confusion. Sur la base des résultats d’études antérieures visant à caractériser les sources possibles de biais, ainsi que des résultats des analyses de sensibilité présentés dans cet article, les auteurs ont conclu que ces sources d’erreurs potentielles ne peuvent expliquer totalement la diminution observée du risque et ils examinent actuellement la possibilité de faire une correction mathématique des valeurs estimées de l’OR pour tenir compte de ces erreurs.

Quant au risque apparemment élevé de gliomes chez les grands utilisateurs, certains sujets (davantage de cas que de témoins) ont déclaré des durées d’utilisation peu vraisemblables, par exemple plus de 5 heures par jour et même jusqu’à 12 heures et plus par jour. Selon des études de validation antérieures, les grands utilisateurs ont tendance à surestimer leur usage du téléphone (les erreurs se situant davantage au niveau de la durée des appels que de leur nombre), et les cas ont eu tendance à surestimer davantage leur utilisation du cellulaire que les témoins. Ces erreurs pourraient contribuer au risque en apparence accru de gliomes dans la catégorie du temps d’appel cumulé maximal.

À tous les niveaux d’exposition, les OR pour l’usage homolatéral du téléphone ont été supérieurs aux OR pour l’usage controlatéral, même si le rapport homolatéral/controlatéral a eu tendance à être plus élevé aux niveaux d’exposition supérieurs. Il est possible que cet effet soit dû, du moins en partie, à une surdéclaration par les cas de l’usage du téléphone du même côté que la tumeur. On ne peut toutefois pas exclure un effet véritable. Les résultats sur les tumeurs dans différents lobes sont moins sensibles au biais de déclaration et il a été démontré que, dans le cas des gliomes, les OR associés aux catégories d’exposition maximales ont été plus élevés dans le cas des tumeurs du lobe temporal (où l’exposition est habituellement maximale) que des autres lobes. Les estimations des OR spécifiques du lobe étaient toutefois imprécises (larges intervalles de confiance).

Malgré des profils comparables, les OR pour les méningiomes ont été dans l’ensemble inférieurs à ceux pour les gliomes et, contrairement aux résultats pour les gliomes, aucune donnée probante ne fait état d’une augmentation du risque de méningiome dans le lobe temporal. Les auteurs concluent que leur étude ne fournit aucune preuve d’une augmentation du risque de méningiomes chez les usagers du téléphone cellulaire. Les profils comparables des OR pour ces deux types de tumeurs cérébrales pourraient indiquer une étiologie commune ou un biais commun.
Les résultats de cette étude sont compatibles avec ceux de la plupart des études épidémiologiques sur l’usage du téléphone cellulaire et les tumeurs cérébrales. Ils concordent également avec des études in vivo et in vitro qui n’ont fourni aucune preuve de la cancérogénicité des champs de radiofréquences.

Conclusion
Les auteurs concluent que « dans l’ensemble leurs données n’indiquent aucune augmentation du risque de gliomes ou de méningiomes associé à l’usage du téléphone cellulaire. Certaines données laissent croire à un risque accru de gliomes et, dans une proportion nettement moindre, de méningiomes, aux niveaux d’exposition les plus élevés et dans les cas d’expositions homolatérales, ainsi que de gliomes siégeant dans le lobe temporal. Cependant, les biais et les erreurs limitent la rigueur des conclusions que l’on peut tirer de ces analyses et empêchent d’établir une interprétation causale ».

 



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